Le viager s’offre une nouvelle jeunesse
Le viager vit un renouveau, notamment en raison du « papy-boom ».
Pour le vendeur, il s’agit souvent d’une manière de compléter des revenus trop faibles.
Pour les acquéreurs il est souvent question d’investissement financier.
« J’adore chaque centimètre carré de cette maison ! » A la fenêtre de son second salon, Marie (nom d’emprunt) désigne fièrement la vue sur la vallée de Spa. Des sapins et des prairies à perte de vue. « Tout le monde ne peut pas se vanter d’un tel panorama, hein ? J’ai vécu dans des tas d’endroits, mais celui-ci reste sans aucun doute le plus beau de tous. »
Cette septuagénaire a emménagé dans sa propriété il y a dix ans. Une cuisine spacieuse, deux salons, cinq chambres, de grandes caves. Mais elle habite seule avec son mari. Sans oublier son caniche Brandy et ses deux chevaux. Le terrain s’étend sur près d’un demi-hectare. Alors, question entretien, elle n’a guère le temps de s’ennuyer. Toute son énergie et tout son argent sont investis dans l’embellissement et la conservation de son bien. « Avec ma petite pension de 722 euros, je n’avais plus assez d’argent pour supporter tous les frais, raconte-t-elle. Mais je ne voulais absolument pas déménager. Alors j’ai choisi le viager. Je suis vieille, invalide et je n’ai pas d’héritier. Cela me semblait être la meilleure solution. Penser à sa mort, cela reste très difficile. Mais il fallait que je le fasse … »
Après avoir étudié tous les détails de la formule sur internet, elle choisit de faire appel à une agence spécialisée. Suivent alors toutes les étapes techniques : évaluation du domaine, d’une rente mensuelle, de la durée de l’usufruit. Contrairement à la grande majorité des crédirentiers (comprenez : les vendeurs), Marie n’a pas souhaité solliciter de « bouquet », cette somme d’argent à verser en complément du montant mensuel, qui équivaut généralement à 10% de la valeur du bien. « Je n’avais pas envie de devoir gérer un investissement. Je n’ai aucune confiance dans les banques. »
Une vaste propriété, aucun bouquet, une rente élevée, un droit d’occupation de 18ans .. Autant de paramètres qui, habituellement, compliquent une vente viagère, habituellement très longue à se concrétiser. Mais il n’aura fallu que dix jours, ni plus ni moins, pour obtenir la signature d’un débirentier (comprenez : d’un acquéreur). Un homme d’affaires flamand, séduit par les lieux, mais qui ne compte pas y habiter. Pour lui, il s’agit surtout d’un investissement.
« Le jour de la signature des actes chez le notaire, j’ai vraiment ressenti énormément de peine, j’ai beaucoup pleuré, se souvient-elle. C’est mon nouveau propriétaire qui m’a réconfortée. Il m’a dit qu’il comprenait, que cela avait dû être une décision très difficile à prendre, mais que je ne devais pas me tracasser : rien n’allait changer. »
Chaque mois, elle reçoit désormais son « loyer« , une somme indexée que l’acheteur lui versera pendant 18ans, même en cas de déménagement. Sauf si la vie en décide autrement … En contrepartie, elle doit s’occuper de l’entretien quotidien. Mais en cas de gros travaux, c’est le débirentier qui devra assumer les frais. Selon Marie, la formule se révélerait financièrement très avantageuse pour le vendeur.
Mais le sujet reste tout de même tabou. Si elle témoigne volontiers de son expérience, elle refuse toutefois que l’on puisse la reconnaître. Pour ne pas que le voisinage apprenne que ses soucis financiers l’ont poussée vers le viager. « Cela ne regarde personne. » L’annonce de la vente a pourtant été publiée sur internet et dans les journaux … Mais la pression sociale reste forte.
« Aujourd’hui, j’ai digéré cette perte sentimentale. Je ne suis propriétaire mais j’habite encore ici. C’est assez étrange. » Ce qui a changé depuis la signature des actes de vente ? Rien. Ou presque : » J’ai tout de même un peu plus d’argent. » De quoi assurer les frais d’entretien de sa propriété, ainsi que le coût de son traitement médical. De quoi aussi s’octroyer de petits plaisirs.
» Les gens imaginent que nous sommes remplis d’argent, puisque nous vivons dans une propriété de prestige. Mais grâce au viager, j’ai pu m’acheter un parfum et un pull en laine ! »
Plus répandu en Wallonie
« Bouquet« , « têtes« , « crédirentier« , « débirentier » … La formule de vente en viager peut sembler complexe, voire impersonnelle. Pour les acheteurs (débirentiers), il s’agit toujours un pari : espérer réaliser une bonne affaire immobilière en spéculant sur la durée de vie du vendeur (crédirentier).
Mais pour celui-ci, la formule peut également se révéler avantageuse. Il reçoit évidemment une rente mensuelle (calculée notamment en fonction de la valeur du bien et de son expérience de vie), mais ne paie pas de frais de vente, ne doit plus s’acquitter du coût d’éventuels travaux ou assurances, etc.
En Belgique, le marché du viager reste étroit et représente environ 5% du marché traditionnel, selon les spécialistes interrogés. La formule semble davantage répandue dans certaines régions en Wallonie, mais elle remporte beaucoup moins de succès en Flandre. Le viager serait malgré tout en train de connaître un nouvel essor, essentiellement en raison du « papy-boom ». Mais les spécialistes constatent également une autre tendance : une bonne partie de leur clientèle aurait recours à cette option afin de ne pas laisser à leurs héritiers la possibilité de devenir propriétaire du bien.